Un jeudi au MAM
Après s'être nourri l'esprit, vient le temps de se nourrir le corps. C'est ainsi que l'a bien compris le Musée d'Art Moderne de Paris en ce début de saison estivale. Dans le cadre de l'exposition Keith Haring The Political Line (jusqu'au 18 août 2013), le musée a organisé un « jeudi au MAM », avec DJs, performances artistiques et grosses basses au programme.
Après avoir délicieusement longé les sinueux méandres des traits de pinceaux de l'artiste américain des années 80, je me suis retrouvée propulsée au milieu d'une foule aussi bigarrée que l'exposition fut riche. Ce sont des curieux de tous âges qui se sont agglomérés sur la terrasse du MAM comme des papillons découvrant (enfin) un rayon de soleil attractif entre les rues sempiternellement désertées du seizième arrondissement. A l'abri des blanches colonnes elles-mêmes surplombées d'un soleil rieur de fin d'après-midi, un cercle mystique s'était créé, une folle ronde où s'entrechoquaient des personnages hauts en couleurs. Une danseuse vêtue d'un seul sparadrap pour sous-vêtement et d'une jupe blanche de princesse, un guerrier des nuits sahariennes en baskets vintage, une ballerine multicolore au sourire ravageur, un cuir-moustache en string et jupe fendue, une impératrice militaire recouverte de peinture telle une œuvre vivante de Keith, virevoltaient et se convulsaient sous les yeux fascinés d'un public dont l'esprit pétri de l'atmosphère du lieu se laissait étonner avec une douce joie enfantine devant ces prouesses du bizarre. Les danseurs ont ainsi ouvert le « Keith Haring clubbing outdoor » et, après quelques secondes d'hésitation, les spectateurs se sont à leur tour livrés au rythme d'une bande-son particulièrement rétro et finement travaillée, hommage à la scène clubbing new-yorkaise des années Haring. Le temps s'écoulait en douceur, et sans s'en rendre compte, déjà sous l'éclat des quelques étoiles parsemées entre les filets nuageux d'un bleu sombre, la Tour Eiffel semblait jeter un coup d'oeil bienveillant par-delà le Palais de Tokyo. Verre après verre, les corps se déhanchaient, les cigarettes se consumaient au coin d'un sourire, les bras se levaient comme pour frôler le ciel et transporter l'instant en des altitudes insouciantes.
Populo-culturel, bondé sans trop l'être, ce « jeudi au MAM » avait l'apparence d'une soirée surprise bien ficelée, et le goût d'une naturelle évidence. Brassant joyeusement les âges et les silhouettes dans l'ombre naissante d'un crépuscule de juin, réunissant aussi bien le jeune étudiant en art venu ce jour-là par hasard, le fêtard parisien à l'affût des bons plans outdoor pour l'été et le chic père de famille qui rêvait secrètement de conquérir le dancefloor avec la légitimité dont l'institution culturelle le couvrait, l'événement mérite d'être reproduit à l'avenir et marque de manière humble et triomphante l'ouverture d'une belle saison artistique dans la capitale.
Sarah Diep, juin 2013